8 - Les enjeux du christianisme

ou comment contribuer à l'accueil d'"une nouvelle terre et d'un nouveau ciel"

Cet article peut intéresser les personnes ayant eu ou ayant encore un lien fort avec
la religion catholique. Vos réactions sont les bienvenues !
 
                                                                                                                                              Article écrit en octobre 2022
En guise d’introduction, il me parait nécessaire de s’entendre sur ce mot « église ». Car il peut être entendu d’au moins deux manières :
·      La première lecture de ce mot, celle qui vient spontanément, c’est de penser ce mot en terme religieux. L’église catholique serait composée de 1,3 milliards de personnes, dont la caractéristique commune, en terme de définition, serait d’être baptisés, subordonnés au pape et adhérant à un certain nombres de croyances et dogmes communs à tous.
·      Une seconde lecture consiste à penser l’Église comme étant le rassemblement de toute l’humanité, de toute la Création Une, sans frontière. Étymologiquement le mot « église » vient de « ecclesia » qui signifie « rassemblement ». Dans cette perspective le fait de ne pas être baptisé par exemple ne serait pas une raison d’exclusion. Ce qui caractérise alors ce rassemblement universel, c’est la nature divine de toute personne sur cette planète, quelle que soit sa religion ou sa nationalité. Dans cette posture la notion même de frontières entre les hommes est inexistante.
 
 
Retrouver la dimension mystique
 
Cette seconde lecture ouvre à un des enjeux les plus essentiels pour cette église, à savoir l’importance, et même la nécessité de retrouver la dimension mystique qui a été enfouie depuis longtemps, au profit de la dimension religieuse stricte : adhésion à une morale et à des pratiques, religieuses ou sociales, qui priment sur l’union spirituelle qui serait réservée aux religieux (c'est moins vrai aujourd'hui mais cette mémoire est encore très présente).
Cette dimension mystique, c’est la divinisation de l’Homme : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ». La divinisation de l’homme est au cœur de la révélation du Christ, mais elle a été oubliée au point que dans le Catéchisme de l’Église Catholique, les mots « divinisation » ou « déification » sont, ni plus ni moins, absents du lexique.
L’enjeu est donc de passer d’une vision où « Dieu s’est fait homme et est mort sur la croix pour nous sauver du péché » à « Dieu s’est fait Homme pour que l’Homme devienne Dieu ». Ne plus mettre le péché comme référent, comme point central de l’incarnation de Dieu, mais croire que le but de l’incarnation de Dieu est la divinisation de l’Homme. Certes le Christ est rédempteur, mais il est avant tout révélateur. Il nous révèle qui nous sommes, des êtres christiques, pleinement Fils et Fille, appelés à vivre de la vie même du Père sur cette terre. Donc appelés à dire oui à leur propre dimension christique.

« On considère généralement le Christ, l’Homme-Dieu, avant tout comme le réparateur de la faute, comme celui qui est venu après coup pour réconcilier l’homme pécheur avec Dieu. Certes dans notre histoire le Christ s’est vu confier la mission de sauver ce qui était perdu. Mais ceci ne doit pas nous faire oublier le dessein premier de l’Amour créateur : une alliance inspirée par un amour qui ne se mesure pas d’abord au fait qu’il nous sauve quand nous péchons, mais plus radicalement au fait qu’il nous crée pour une communication de vie divine, dont le Fils incarné, premier-né de toute créature, révèle à tout jamais la profondeur et le visage. L’alliance de réconciliation ne doit donc pas nous cacher l’alliance première de divinisation, qui était et qui reste l’inspiration fondamentale du Créateur » (Eloi Leclerc, Chemin de contemplation).
Et François Varillon insiste aussi sur ce point : « Le salut, c'est notre divinisation, notre passage à la vie divine elle-même. Vivre de la vie même de Dieu. J’insiste sur ce dernier point : vivre de la Vie même de Dieu. On l'oublie toujours. Les mystiques n'y vont pas par quatre chemins pour l'affirmer ; ils disent carrément : « pour devenir Dieu ». Le fond des choses est que nous sommes sur terre pour devenir ce qu'est Dieu, pour être divinisés. Toute la tradition grecque parle de la théiôsis, de la divinisation de l'homme. Et c'est cela qu'on appelle le salut, l'histoire du salut. Or, l'homme est créé pour le salut » (François Varillon, Vivre le christianisme).
 
 
Ne plus penser l’église avec des frontières, car c’est un contre sens
 
De mon point de vue, la première vision de l’église, religieuse, a été nécessaire pendant un temps mais n’est plus d’actualité. Aujourd’hui nous sommes appelés à intégrer la seconde vision. Je partage totalement le point de vue de nombre de personnes sur cette question (Teilhard de Chardin, Maurice Zundel par exemple), résumé par ce moine bénédictin, Simon Pierre Arnold : « le christianisme, dans son fond même, est areligieux et sans frontières » (Dieu est nu, page 86). Dans cette perspective « le Christianisme n’existe pas encore » (titre d’un livre du dominicain Dominique Collin).

Il s'agit donc non pas d'abolir, mais d'accomplir cette Église...
 
Comment vivre ce passage, cette dimension universelle de l’église, ici et maintenant ?
Tout d’abord en relisant l’évangile sous cet angle là. Le Christ qui est juif pratiquant, va, toute sa vie, abolir les frontières de cette religion, critiquer avec virulence toute identification religieuse qui étouffe la dimension spirituelle. Les exemples sont multiples. Mais le plus frappant est la parabole du bon samaritain. Celui que Jésus prend comme modèle de la charité, de l’amour, est un samaritain, au détriment des juifs religieux qui passaient par là. Or les Samaritains étaient considérés comme les pires ennemis des juifs. Autres exemples : tous les passages où le Christ dénonce la posture des Lévites, les religieux gardiens du temple, avec une véhémence parfois violente, alors qu’il reconnait la foi et la charité des petits, quelles que soient leurs identités religieuses, culturelles ou sociales. Jésus n'est pas venu fonder une religion, même si celle-ci était inévitable pour des raisons humaines.
 
 
Dieu est Amour et Unité, voir le monde comme Il le voit
 
Parce que je crois que chaque personne née sur cette terre a une double origine, humaine et divine (voir texte consacré à cette question par ailleurs), alors tout l’enjeu est de reconnaitre chez chaque personne que nous rencontrons sa nature divine, à partir de notre propre nature divine. A ce niveau-là nous sommes tous UN, sans exception.
Reconnaitre l’Esprit Saint qui nous précède au cœur de chaque personne de cette planète… Et donc s’émerveiller avant tout de chaque rencontre, de la façon dont la personne met en œuvre dans sa vie sa nature divine. Christiane Singer, dans une formule limpide, redit cette attitude intérieure : « L’amour n’est pas aveugle comme on le prétend. Il est visionnaire. Il voit la divine perfection de l’être aimé au-delà des apparences auxquelles le regard des autres s’arrête ».
« La richesse de l’autre ouvre en nous une brèche dans nos certitudes et suffisances pour nous laisser atteindre et rejoindre par l’autre et l’Autre. Que l’autre, que tous les autres soient la passion et la blessure par lesquelles Dieu pourra faire irruption dans les forteresses de notre suffisance pour y faire naître une humanité nouvelle et fraternelle 
» (Mgr Claverie)
 
Retrouver donc une spiritualité sans frontière en-deçà et au-delà d’une religion avec frontières.
 
L’Amour n’a pas de camp et nous précède au cœur de toute personne rencontrée. Mais la façon la plus simple de le dire, c’est de dire que l’Amour est universel. Chacun de nous a rencontré des témoins de l’amour au-delà de toutes références religieuses, et si l’Église se veut le sacrement de l’Amour, alors elle ne peut plus avoir de frontières sur le plan spirituel, sur ce qui fait le cœur de son message (ce qui n’empêche pas qu’elle puisse avoir une particularité religieuse pour dire cet Amour universel).
Par conséquent toute volonté d’évangéliser qui sous-entend l’idée qu’on va apporter à l’autre l’Esprit-Saint, avant même de contempler cet Esprit déjà à l’œuvre chez l’autre, est une posture de « sachant » que là encore le Christ combat (cf. entre autres la parabole de la veuve).
 
Toute personne est, aux yeux de Dieu, un être unique, créé par amour, par l’Amour et pour l’Amour, profondément aimé, et fait pour aimer, indépendamment de toute appartenance religieuse, ethnique ou nationale. Il est donc Fils ou Fille de Dieu, de la nature même de Celui qui est à son origine. Saint Paul l’exprime très clairement : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus-Christ ». Cette parole, si elle avait été écrite 2000 ans après pourrait être prolongée : « il n’y a plus ni juif, ni musulman, ni catholique, ni français, ni américain, ni russe, ni indien, etc. ». En Christ, et donc dans le regard de Dieu, nous sommes tous UN.
Le Christ le dit aussi clairement : « Un jour, alors que la mère et les frères de Jésus le cherchaient, Jésus répondit : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? ». Montrant d’un geste l’entourage de ses disciples : « Voici ma mère et mes frères. Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là m’est un frère, et une sœur, et une mère » (Mt 12, 46-50) ». Or l’Amour n’a pas de camp, il suffit d’avoir voyagé dans le monde pour le réaliser.
 
 
Donc quitter l’identification entre religion catholique et vie en Christ, sans forcément les opposer
 
On ne peut plus confondre l’universalité du Christ comme verbe incarné et l’universalité du christianisme comme religion.
Cesser de penser que Dieu est chrétien, cesser de vouloir faire rentrer Dieu dans le cadre de nos représentations, cesser même de penser que la médiation religieuse chrétienne est nécessaire.
« Est-il bon de rappeler ce qui devrait être un truisme ? A savoir que le Divin, la Réalité absolue que l’on nomme Dieu ou autrement, n’est ni juive, ni chrétienne, ni musulmane, ni hindou, ni bouddhiste… ? Dieu est au-delà. Acceptons enfin que Dieu ne soit pas une appellation d’origine contrôlée ! » (William Clapier, Quelle spiritualité pour le XXIème siècle).
 
André Fossion (jésuite) évoque ainsi l’importance de se dépouiller de toute tentation de vouloir mettre notre identité chrétienne entre l’autre et soi-même : « Voyant Dieu à l’œuvre en toutes choses, en vertu de la générosité de son amour, il nous paraît particulièrement important, dans le monde sécularisé et pluraliste d’aujourd’hui, de souligner combien notre foi chrétienne nous conduit à reconnaître, sans détour, qu’elle n’est pas un passage obligé pour être engendré à la vie de Dieu et être sauvé. Dans un contexte bien différent, certes, nous pouvons dire aujourd’hui avec Pierre à l’assemblée de Jérusalem : « Qui sommes-nous pour pouvoir empêcher Dieu d’agir » (Ac 11,17).
 
A la fin de l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, PaulVI écrit ceci : « Il ne serait pas inutile que chaque chrétien et chaque évangélisateur approfondisse dans la prière cette pensée : les hommes pourront se sauver aussi par d’autres chemins, grâce à la miséricorde de Dieu, même si nous ne leur annonçons pas l’Évangile » (§80). Cette phrase de Paul VI, reprise dans les Lineamenta (§2) du prochain synode sur l’évangélisation, souligne que Dieu peut sauver par les moyens qui sont les siens. Grâce à Dieu, en raison de sa générosité, il y a d’autres voies d’engendrement à la vie de Dieu que la foi chrétienne.
 
« En fait, l’unique chemin pour le salut est la voie des béatitudes. « Heureux les pauvres de cœur, heureux les doux, heureux les affamés de justice, heureux les artisans de paix, le Royaume des cieux est à eux ». Mais ces béatitudes n’impliquent pas une appartenance à telle ou telle religion ou conviction. L’Évangile des béatitudes s’adresse à tous et toutes. Il appartient, bien entendu, à la tradition chrétienne, mais il nous force à voir, au-delà de cette tradition, la puissance créatrice et salvifique de Dieu en tout être humain – de toute religion, conviction ou culture - dès lors qu’il les met en pratique ou, au moins, en a le désir » (André Fossion).
 
Le Christ n’est pas venu fonder une religion, il propose un message qui est un au-delà de toutes les identifications à des structures humaines. Il agit non pas depuis 2000 ans, mais depuis la nuit des temps (cf. épilogue de Saint-Jean).
« Faut-il encore rappeler que le Christ n’est pas le fondateur du christianisme et que les apôtres ignoraient faire partie d’une nouvelle religion ? » (Dominique Collin).
Continuons de nous laisser étonner par le mystère de la Révélation ! Nous n’avons pas fini de découvrir et comprendre qui est le Christ, qui est l’Homme. La révélation n’a pas fini de nous surprendre, le christianisme balbutie encore. Nous avons à nous convertir à une véritable compréhension du Christ au-delà de l’homme historique Jésus, et au-delà de nos frontières religieuses. « Le christianisme n’existe que quand il reste incertain de son existence, qu’il n’existe vraiment que quand il ne peut s’assurer pour exister que du « Royaume » qui est sa force d’appel et son indépassable ouverture » (Dominique Collin).
 
 
Pour cela désapprendre ce que l’on croit savoir de Dieu
 
Laisser émerger une nouvelle vision de ce souffle divin qui unit les hommes, dépouillée de tout ce qu’on a appris sur Dieu. Car voilà l’un des obstacles majeurs à l’unité de l’humanité : ce qu’on a appris sur Dieu, ce qu’on en a fait dans nos représentations, devient bien souvent un obstacle à l’union à l’autre, car nous sommes tentés de mettre entre cet autre et nous-même ce que nous avons appris de Dieu. Et si cet autre n’était rien de moins qu’un messager d’un visage du Père que nous étions invités à découvrir ?
« Le Christ, ou plutôt celui que j’appelle Christ dans mon langage, et qui pour moi est vraiment Jésus ressuscité, Celui-là vient féconder toutes les traditions. Le prix à payer pour ce choix, c’est une nouvelle kenosis, un anéantissement du Christ tel qu’on me l’a enseigné, afin qu’Il soit « souverainement exalté et gratifié du Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph2,9) »(Raimon Panikkar, L’actualité religieuse, 15 mars 1995).
Maître Eckart disait : « Je demande à Dieu de me délivrer de Dieu », c’est-à-dire d’être délivré de toutes nos représentations de Dieu.  
 
Il nous faut quitter les fausses croyances que nous avons apprises sur Dieu et sur Jésus, vérités qui nous empêchent, si elles sont vécues comme des fins en soi, de vivre une relation intime et unique au Père et au Christ. Il en est ainsi de tout le rapport à une morale vécue comme une vérité sur Dieu et qui est en fait un obstacle à une véritable expérience de l’union à Dieu. Les exemples sont multiples. Les concepts sur Dieu viennent empêcher de vivre Dieu comme une Présence. Ainsi en est-il de toutes les dérives moralistes liées à la croyance que l’homme doit mériter ou « acheter » la bienveillance de Dieu, ou à la croyance que l’homme est à l’origine de sa relation à Dieu en contrôlant cette relation par ce qu’il fait.
Dominique Collin l'exprime ainsi : « La question la plus urgente qui est demandé aux chrétiens n’est plus : « comment hériter de la tradition chrétienne (son corps de doctrine, sa morale et ses rites) ? » mais : « comment hériter de ce qui surgira, de ce qui, échappant à la succession du temps, ne cesse d’advenir, à savoir le Royaume qui est en train de venir et nous avec lui ? ».
 
 
Cesser de vouloir accéder à Dieu par une multitude d’efforts, de pratiques,
pour laisser notre nature divine être à l’origine de tout ce que nous vivons
 
Nous sommes conditionnés depuis des siècles par l’idée que le paradis, l’union à Dieu se mérite, que nous devons parvenir à cette union grâce à nos efforts, nos pratiques, nos progrès, etc. Voir les choses ainsi, c’est se mettre à l’origine de notre propre vie, c’est se servir de Dieu pour renforcer notre ego qui veut régner et contrôler en nous. Il n’y a pas d’autre chemin pour vivre l’union à Dieu que de laisser Dieu être à l’origine de tout ce que nous vivons, et donc à se retirer nous-mêmes de cette posture d’origine.
L’Amour de Dieu nous précède, il est acquis, il est donné. Il n’est pas à chercher, ni à conquérir, ni à mériter. Il est à accueillir. Nous n’avons pas à chercher Dieu car nous sommes déjà trouvés par Lui. Le Nouveau Monde est un monde dans lequel l’oméga, c’est-à-dire la dimension accomplie du Royaume, du cœur divin, devient l’origine de toute action, de toute pensée, de toute notre vie. La dimension accomplie, c’est l’union du Ciel et de la Terre, de l’invisible et du visible, de l’Esprit et de la Matière.Pleinement Homme et pleinement Dieu.

François Varillon (jésuite) l’exprime ainsi : « nous en sommes arrivés à considérer le salut comme le salaire particulier de notre travail individuel. C’est horrible et l’Église en prend conscience de nos jours. Elle pèse toutes ses responsabilités au cours de l’histoire qui ont abouti à ce contresens : la vie éternelle, la vie divine est la récompense du travail que nous avons fourni personnellement. Alors que le salut est dépossession de soi » (Vivre le christianisme).
 
Ainsi beaucoup d’idolâtries et de fausses croyances liées à cette idée que nous devons devenir quelqu’un de bien pour mériter Dieu ou pour parvenir à Lui doivent aujourd’hui être nettoyées :
Le dolorisme. La souffrance est là pour nous révéler des parts de nous non encore ouvertes à la Présence divine. Elle n’est pas voulue par Dieu en tant que tel. Elle est donc une alliée spirituelle mais pas une condition de l’union à Dieu.
Le perfectionnisme et son corollaire, la culpabilité. La quête de perfection est liée à un surmoi psychologique et/ou religieux très fort qui n’a rien à voir avec la volonté de Dieu. C’est souvent l’ego qui, sous prétexte d’un idéal spirituel, cherche à garder le contrôle en se mettant en position d’origine : « je mériterai Dieu si je fais telle ou telle chose ».
Le moralisme : une vision binaire du monde avec des codes de ce qui est bien et de ce qui est mal, une loi morale. Le salut consisterait alors à obéir à des lois et des rites (à faire ce qui est bien et ne pas faire ce qui est mal selon cette loi morale). Le mérite tient là une place centrale. Le salut est une récompense, dont je suis l’auteur par mes bonnes actions (dans cette conception on est centré sur ce qu’on doit faire pour être sauvé).
Les idolâtries liées à la pratique. Identifier la pratique d’un rituel à l’intégration du sens de ce rituel ouvre à l’intégrisme, pas à l’essence de l’évangile. On peut vivre par exemple l’eucharistie, l’expérience de la Présence réelle, dans chaque rencontre.
Les indulgences : « l’indulgence est la remise devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est effacée… » (Catéchisme, n°1471). On est loin du message du Christ délivré à travers la parabole du fils prodigue.
Les idolâtries liées à la prétention de savoir qui est sauvé ou pas sauvé, qui est relié ou non à Dieu par un lien filial. Entre autres les divorcés-remariés, les religieux quittant la vie religieuse, les homosexuels, etc…
Les idolâtries liées au clergé, qui aurait un statut supérieur sur un plan spirituel, du fait qu’il serait en droite ligne avec le Christ via St Pierre. Alors que nous sommes tous disciples si nous le désirons. « Le cléricalisme tend à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple. Il oublie que la visibilité et la sacramentalité de l’Église appartiennent à tout le peuple » (pape François). C'est un contre sens total de penser que les évêques sont les successeurs exclusifs de Pierre qui serait le successeur de Jésus, alors même que Jésus choisit ses disciples parmi les hommes les plus ordinaires. Et encore plus que se clergé se fasse appeler "mon père" ou "monseigneur" alors que Jésus lui-même dit dans l'évangile : "ne laissez personne vous appeler père, parce que vous n'avez qu'un seul Père, dans les cieux".   
Quitter l’importance accordée à la faute et au péché, comme si Dieu était obsédé par le péché de l’homme, Lui qui ne voit pas le mal. Passer de l’homme coupable à l’homme capable (sans échapper à une saine culpabilité, que l’on peut appeler le remords, qui permet un retournement intérieur).
 
 
Sortir d’une vision duelle des choses
 
Ce point nécessite un développement mené par ailleurs, il serait trop long de le déployer ici. En fait il s’agit de tenir ensemble deux plans, celui de la dualité ET celui de la non-dualité.
 
 
Changer notre rapport à l’évangélisation
 
Il y a un champ d’évangélisation passionnant à vivre : celui de soi-même. Chaque fois que nous vivons une adversité, extérieure ou intérieure, cette adversité peut être vécue comme une manifestation d’une part de nous non encore unifiée, d’une union entre notre nature divine et un aspect de notre condition humaine non encore ouverte pleinement au Divin.
Sortir de l’idée que nous serions dans le bon camp face à d’autres qui ne le seraient pas et qu’il faudrait évangéliser, pour aimer et voir le monde comme étant un seul Corps.
Teilhard de Chardin : « On ne convertit que ce qu'on aime : si le Chrétien n'est pas en pleine sympathie avec le monde naissant, - s'il n'éprouve pas en lui-même les aspirations et les anxiétés du monde moderne, - s'il ne laisse pas grandir dans son être le sens humain, - jamais il ne réalisera la synthèse libé­ratrice entre la Terre et le Ciel d'où peut sortir la parousie du Christ-Universel. Mais il continuera à s'effrayer et à condamner presque indistinctement toute nouveauté, sans discerner, parmi les souillures et les maux, les efforts sacrés d'une naissance. S'immerger pour émerger et soulever. Participer pour sublimer. C'est la loi même de l'Incarnation. Un jour, il y a déjà mille ans, les Papes, disant adieu au Monde romain, se décidèrent à « passer aux Barbares ». Un geste semblable, et plus profond, n'est-il pas attendu aujour­d'hui ? Je pense que le Monde ne se convertira aux espérances célestes du Christianisme que si préalablement le Chris­tianisme se convertit (pour les diviniser) aux espérances de la Terre » (Être plus, page 115).
« On est toujours précédé par la charité, par l’amour déjà répandu dans les cœurs. Ceci implique de nos communautés chrétiennes qu’elles se laissent évangéliser par les figures d’Évangile qu’elles peuvent reconnaitre déjà présentes dans le monde »
(André Fossion)
 « L’autre existe dans sa différence : il ne peut être question de l’annexer, de le récupérer, mais d’abord de l’entendre, d’accueillir sa parole de vérité, si partielle ou si enfouie soit-elle. Une sorte de réciprocité s’instaure où, sans rien renier de la vérité qui le fait vivre, celui qui était parti pour évangéliser se retrouve lui-même renouvelé et enrichi. Quelque chose lui advient dans la rencontre,dont il ne sort pas indemne. S’il a fait là l’expérience de l’altérité, de l’ouverture, de la dépossession, c’est pour mieux s’ouvrir à l’altérité radicale de Celui qu’on ne possède jamais »
(Jean-Noël Bezancon).
 
 
Réinventer le dialogue
 
On peut parler de dialogue interreligieux, interspirituel et intrareligieux (ou intraspirituel).
Le dialogue interspirituel reconnait la source commune de chaque voie spirituelle et en conséquence accepte aussi la possibilité de se laisser transformer, bousculer dans ses certitudes et ses croyances (c’est ce que nous appelons le dialogue intraspirituel).
Le dialogue intraspirituel est ce dialogue interne que provoque la rencontre de l’autre. Accueilli dans ce qui fait ma réalité, il me déplace, vient bousculer mes certitudes ou mes croyances, ou au contraire il m’aide à creuser et affermir ma propre identité. L’ouverture à l’autre et donc au tout Autre, vécue comme une brèche fragilisant mes propres croyances, suffisances, façons de vivre… est fondamentalement évangélique.
Quatre formes de dialogue sont possibles selon le Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux :
· Le dialogue de la vie, de la convivialité. Lieu de partage de nos vies,de nos joies et peines, lieu de bon voisinage. Espace d’amitié.
· Le dialogue des œuvres.
· Le dialogue des échanges théologiques.
· Le dialogue de l’expérience spirituelle. Chacun, enraciné dans sa propre tradition, partage avec d’autres prière, méditation …
« L’unicité du Christ n’est pas exclusive d’autres manifestations de Dieu dans l’histoire » (Claude Geffré). Comment donc penser théologiquement une pluralité de traditions religieuses dans leur différence irréductible ? L’enjeu est à la fois de permettre, par l’ouverture et le questionnement à l’autre différent, de creuser notre propre identité chrétienne, et en même temps de vivre l’universalité de l’Évangile (qui n’est pas l’universalité de la religion chrétienne).
 
Jean Vanier dit que « le fondement de l’Église, c’est de pouvoir dire à chacun ‘j’ai besoin de toi’ ». Aimer, c’est effectivement avoir besoin de nos différences pour n’être qu’un. Et Teilhard écrit : « pas d’avenir évolutif à attendre pour l’homme en dehors de son association avec tous les autres hommes » (Le phénomène humain,page 246).
Enfin Christiane Singer exprime ainsi les enjeux d’une véritable rencontre : « toute rencontre modifie irrémédiablement quelque chose en moi. Et s’il n’y a pas de changement, aussi ténu soit-il en apparence, il n’y a pas eu rencontre. Cette tolérance mâtinée d’humanisme et qui laisse chacun à la place qu’il occupait au départ contredit la dynamique transformatrice du vivant. La rencontre véritable, si elle a lieu, laisse à chacun sa spécificité mais l’émeut d’une perspective agrandie ».
 
 
Comment vivre l’articulation entre conscience individuelle et appartenance religieuse ?
 
Dans un certain nombre de situations (divorcés se sentant appelé à se remarier, religieux appelé à quitter le sacerdoce, ou tout simplement ressentir la nécessité de prendre de la distance par rapport à une certaine pratique religieuse, par exemple), il peut y avoir conflit entre un appel intérieur et l’injonction de l’église. Comment discerner afin que l’obéissance aveugle à l’institution ne vienne pas étouffer un appel ou étouffer la conscience individuelle ? Ou au contraire comment entendre l’injonction de l’institution comme un appel à affiner le discernement ? Chaque situation est unique, mais la question de fond s’est posée aussi pour le Christ qui, au nom de sa liberté intérieur et de son amour pour les hommes, a été amené à faire des choses interdites par la loi. Obéir à la loi ou obéir à Dieu en nous ? Parfois les deux dimensions vont dans le même sens, parfois elles s’opposent…
« C’est la vie de foi expérimentée à travers l’exercice de la conscience personnelle qui l’emporte sur des lois, des règles de morale, de pratiques cultuelles, alimentaires, pénitentielles… » (Joseph Moingt).
« Le cléricalisme tend à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple. Il oublie que la visibilité et la sacramentalité de l’Église appartiennent à tout le peuple » (pape François).
 
 
Pâques veut dire « passage ». Notre époque nous appelle à vivre des passages radicaux
 
Le Christ a tout accompli dans son passage de la mort à la résurrection. Nous sommes invités à manifester ce passage dans tous les plans de notre humanité.
· Passer d’une vision de l’homme qui serait avant tout pêcheur (marqué par le péché originel) à une vision de l’Homme Fils, capable de Dieu (grâce originelle, nature divine).
· Passer de « l’homme est pécheur » à « l’homme est le Corps de Dieu, sa manifestation » ou encore à « l’Homme divinisé ». Ce qui nous invite à transfigurer ce qui nous sépare des autres et de l’Autre.
· Passer de l’ancien (l’homme qui se met à l’origine de lui-même) au nouveau (l’Homme qui vit à partir de son origine divine).
· Passer de la répétition, de la mécanique de cause à effet à « de commencement en commencement, par des commencements qui n’auront pas de fin » (Grégoire de Nysse).
·  Passer de l’homme conditionné (par ses blessures, ses croyances, ses identifications…) à l’Homme libre.
·  Passer de l’homme coupable à l’homme capable.
· Passer de l’homme qui doit faire quelque chose pour être digne de Dieu, à l’homme qui doit se laisser trouver par son essence divine, là où il est inconditionnellement digne. Passer d’une posture de personnes cherchant à être le mieux possible pour faire plaisir à Dieu à une posture où nous laissons Dieu s’humaniser à travers nous. Passer de la croyance que la sainteté se construit, se mérite, se conquiert à la certitude que dans ce « lieu » en nous de notre origine divine la sainteté est là, accomplie, en attente de pouvoir se déployer au cœur de notre humanité. Passer de la « contemplation » des efforts que nous faisons pour arriver à Dieu à la contemplation du flot ininterrompu de l’Amour de Dieu qui se donne à nous sans autre attente que d’être reçu.
· Passer du statut de serviteur au statut d’ami.
· Passer de l’homme pour la loi à la loi pour l’homme.
· Passer d’une morale d’obligation (moralisme) à une morale de libération (discernement créateur).
· Passer d’une pastorale de l’encadrement à une pastorale d’engendrement (qui n’empêche pas le cadre).
· Passer d’une vision du salut où le péché est la cause de la venue du Christ à une vision du salut où la bonne nouvelle de la divinisation de l’Homme est la cause de la venue du Christ.
· Passer de l’ego à l’être unique que nous sommes, à notre être christique.
· Passer de l’identification à l’église catholique romaine (qui a par définition des frontières) à la Création, Une, universelle.
· Passer de « hors de l’église point de salut » à « hors de l’église plein de salut ».
· Passer du Diable (le mal qui aurait une réalité ontologique) au Lucifer (un allié qui vient révéler nos parts d’ombre qui appellent la Lumière). Passer d’une vision où le mal (le Diable) est à combattre (vision duelle) à une vision où le mal est une absence du bien et donc un espace humain à évangéliser, à ouvrir à l’Amour.
· Passer d’une vision ou l’adversité (intérieure ou extérieure) est vécue comme une attaque du mal à combattre, à une vision où l’adversité est un allié qui vient nous indiquer une part de nous qui appelle la Lumière.
· Passer de la croyance que Dieu n’est que transcendant,à l’extérieur de moi et que je le trouverai un jour à l’expérience que Dieu est en moi, immanent, et qu’Il m’a déjà trouvé :
· Passer de ce que nous croyons être Dieu, à partir d’un Dieu que nous avons souvent créé à notre propre image et ressemblance (un Dieu qui voit le mal, qui juge, qui récompense, qui condamne, qui conditionne, que l’on range dans un camp contre un autre…), à un Dieu qui nous révèle en permanence qui est le Nouvel Homme, l’inattendu, l’impensable, le jamais vu, jamais connu, « un nouveau Ciel et une nouvelle Terre ».
· Passer de la vision d’un Dieu qui distribue des grâces, des aides, des miracles, à la perception charnelle que Dieu ne distribue pas des grâces mais Il Se donne Lui-même, il nous donne Son Être.
· Passer de la foi que l’Esprit-Saint est chrétien et qu’il nous faut l’annoncer aux autres à la vision que l’Esprit-Saint nous précède au cœur de chaque être rencontré : l’y contempler.
· Passer de la souffrance vécue comme rédemptrice à la Joie du Royaume déjà donné.
· Passer d’une vision où l’union à Dieu est perçue comme le point oméga à une expérience où cette union devient le point alpha (car déjà réalisée au niveau de notre origine divine).
· Passer de l’efficacité à la fécondité.
· Passer d’une vision qui oppose dualité et non-dualité à « Je suis dans la dualité ET dans la non-dualité ». Je suis unique ET Un avec Dieu et toute la Création.
· Passer du temps chronos au temps kairos.
· Passer du Royaume après la mort au Royaume en nous.
· Passer d’un Dieu créé à notre image et ressemblance, à devenir Dieu en se laissant engendrer à Son image et à Sa ressemblance.
· Passer de l’identification au personnage que nous nous sommes construits pour répondre à la question : « qu’est-ce que je dois faire ou être pour recevoir le minimum d’amour, de reconnaissance et de sécurité dont j’ai besoin » à notre identité divine : « Je suis Celui qui est ».
· Passer du « ou » au « et ».
 
 
Sur un autre plan, repenser des questions plus structurelles
Quelques pistes « en vrac »
 
· Quelle place est donnée aux femmes ? Cette question qui, dans cette présentation, peut paraitre anecdotique (un point parmi tant d’autres) est en fait centrale. Il est impensable qu’il n’y ait pas 50% de femmes au Vatican par exemple (ce qui ne veut pas dire qu'elles doivent être prêtres).
· Quelle place est donnée aux laïcs, ce qui va avec la fin du cléricalisme ?
· Comment concilier l’universalité du message évangélique et la tendance à l’exclusivisme propre à toute religion ?
· Dieu aime l’humanité depuis toujours. Cet amour se manifeste de multiples manières depuis la nuit des temps, et s’est manifesté de manière unique dans l’incarnation de Jésus. Le Christ invite ceux qui le suivent à une conversion perpétuelle afin de voir par lui le Verbe à l’œuvre depuis la fondation du monde (Jn1). Comment la rencontre d’autres voies spirituelles vient-elle élargir notre perception d’un Dieu qui s’incarne ainsi que notre perception du Christ cosmique ?
· Comment vivre une religion au service de l’unité de la création tout entière et de l’union à Dieu, et non pas l’inverse ? Comment penser une théologie de la pluralité des religions dans un dialogue inter-spirituel ? Incluant le dialogue intra-religieux, sans exclusivisme ni inclusivisme.
· Comment creuser le dialogue avec les sciences dures (la physique quantique aujourd’hui) et avec les sciences humaines ? Comment articuler les champs spirituels et psychologiques, les prendre en compte tous les deux, dans le domaine notamment du discernement vocationnel ? Comment éviter les confusions et bien distinguer ce qui est de l’ordre du péché, de la faute et de la blessure, et comment distinguer la part de l’homme blessé et la part de l’homme coupable, au sein de chaque personne ? 
· Comment les blessés de la religion catholique peuvent-ils se sentir accueillis de façon inconditionnelle ? Et pour certains vivre ainsi une forme de réconciliation avec cette église.
· Quelles nouvelles formes de communautés faut-il continuer à inventer ? Quelles mutations l’Église doit-elle vivre pour imaginer des communautés locales « ordonnées prioritairement à la charité, sans prosélytisme ni ecclésiocentrisme » (André Fossion, s.j.). Des communautés locales dans lesquelles les charismes, les dons de chacun sont reconnus et peuvent s’exercer au service de tous. Des communautés dans lesquelles la dynamique de l’intelligence collective est reconnue et où les décisions sont prises collégialement (cf. Mgr Rouet, Joseph Moingt, André Fossion...).