7 - Une quête spirituelle nouvelle...

... qui prend de multiples visages

                                                                                                                                                   Article écrit en août 2022
J’ai évoqué dans l’article précédent les différents niveaux d’articulation entre spiritualité et religion.
Je prolonge cette réflexion dans cet article, qui présente les grandes lignes d’un document que nous avions rédigés avec deux amis, Valérie et Yvon, intitulé « Quêtes et pratiques spirituelles d’aujourd’hui ».
L’intégralité de ce document est disponible, vous pouvez me le demander au 06 82 30 21 51 ou à picotiere@wanadoo.fr
Voici donc les grandes lignes :
 
En guise d’introduction : nous assistons à une baisse de la pratique religieuse catholique (au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire baisse du nombre de personnes pratiquant les sacrements, baisse du nombre de religieux, etc.). Mais en même temps se développe une quête spirituelle très forte, qui échappe à ce cadre religieux,et qui se traduit par trois grandes catégories de recherche :
·  Par un intérêt pour d’autres traditions religieuses : hindouisme, bouddhisme, taoïsme, kabbale, soufisme...
·  Par de multiples recherches spirituelles hors sentiers battus, regroupées sous le terme, qui ne veut plus dire grand-chose, de New Age (récits de réincarnations, liens avec les esprits de la nature, le calendrier maya, certaines pratiques chamaniques, l’ésotérisme, les templiers….).
· Par une recherche de développement du potentiel humain, qui passe par toute une gamme de pratiques : méditation,concentration, visualisation, yoga, cercles de conscience, etc.     
 
Toutes ces recherches peuvent être diabolisées sous prétexte de syncrétisme, de relativisme, de confusionnisme, de cuisine individuelle… En bref de pseudo-spiritualités. Mais il y a un autre regard possible : entendre, au-delà des dérives possibles, quelle soif anime tous ces chercheurs.
De plus elles nous rappellent que « l’homme est anthropologiquement spirituel et culturellement religieux » (Marie-Jo Thiel), et que cette essence divine est inscrite au plus profond de chacune et chacun au-delà de toutes les frontières religieuses. Aussi notre soif d’amour et d’unité s’exprime de multiples façons, il est essentiel d’entendre cette soif au-delà des réponses données.
 
Les raisons sociologiques, religieuses et humaines ayant modifié le paysage religieux et spirituel depuis quelques décennies :
o  Le développement du matérialisme, qui a conduit à un besoin consumériste effrénée, créant un manque de respiration spirituelle et une perte de sens.
o  Un désenchantement vis-à-vis des systèmes collectifs, institutionnels et traditionnels : plus aucun système, plus aucune institution ne peut proposer un modèle convaincant et universel du vivre ensemble, proposant une conscience d’unité dans le respect de la diversité des individus.    
o  La relativisation du progrès scientifique et technique : la raison et la science ont été vues comme la pointe avancée et salvatrice de l’humanité. Or il y a maintenant déception vis-à-vis du salut par le seul progrès. « Les promesses de la modernité ont tout autant déçu que les certitudes de la tradition » (François Laplantine).
o  Le développement de la mondialisation. Le contact avec d’autres cultures, d’autres religions, d’autres visions du monde, d’autres spiritualités… a créé nombre de « déplacements » de nos repères, que l’on pensait universel. La perception que la dimension mystique n’a pas de camp chamboule les repères traditionnels.     
o  La mutation du monde religieux. On assiste à la sécularisation qui conduit à la fin d’un système ou la religion constituait le lien fondateur et le système de référence de la vie sociale et collective. Par conséquent le phénomène de la laïcisation de la vie spirituelle se développe, le clergé n’est plus l’unique référent garantissant l’authenticité de la recherche spirituelle.
o  L’individu sujet. Le sujet en tant qu’être unique devient premier, et l’expérience personnelle prime sur l’identité collective à laquelle nous appartenons, et qui avait tendance à nous dicter notre conduite. L’homme actuel n’accepte plus de croire n’importe quoi si cela ne se traduit pas dans sa vie par un changement réel.
 
Les caractéristiques des nouvelles croyances :
o  Un aperçu global : « La mystique compte ici plus que l’éthique, la connaissance éprouvée plus que la foi instinctive, l’expérience personnelle plus que l’adhésion collective, l’aventure intérieure plus que l’engagement social. L’expérience spirituelle et intime devient l’aune de toute réalité et vérité. On ne croit que ce que l’on a soi-même expérimenté. D’où la grande méfiance de ces milieux pour les vérités “officielles” des églises, de la science et de la médecine, le succès des centres de soins parallèles, le rejet des discours moralisateurs et culpabilisateurs » (Henri Tincq, Le Monde, 19-20 février 1989).
o  Approche de la totalité, approche holistique et cosmique. Tout est relié, tout est Un. L’humanité, la Création n’est qu’un seul Corps sur le plan spirituel. L’univers est un grand corps vivant unique.
o L’importance du corps. Développement de courants d’approche culturelle tels que les thérapies psycho-corporelles, les massages, la relaxation, la danse… Le corps est partie prenante de l’expérience spirituelle.
o  Tout est énergie. Il existe plein de plans d’énergies différentes formant des égrégores différents.
o  Le primat de la conscience et de l’expérience individuelle. Les nouvelles quêtes spirituelles émergent à la fin d’une période où les systèmes collectifs et les grandes idéologies primaient sur l’individu : la religion, la famille patriarcale, l’entreprise (on s’y engageait à vie), le village, le parti politique, le syndicat. La pensée individuelle était soumise à la pensée collective (le dogme, le magistère, les pratiques formalistes,etc.). L’écroulement de tous ces systèmes d’appartenance laisse un champ libre à l’individualisme, mais aussi à la conscience personnelle. Chacun désire accéder à son propre potentiel et à sa propre parole, il veut s’approprier ce qui lui a été imposé.
o Le développement du psycho-spirituel. L’enjeu étant d’unifier ces deux plans, en permettant à notre « épaisseur humaine » de s’ouvrir à notre nature divine. Et ceci afin que ces deux plans ne soient plus vécus comme contradictoires mais au contraire comme étant appelés à s’unifier totalement.
o  Le développement de notre potentiel. Il s’agit de se réaliser, c'est-à-dire de se percevoir comme un réservoir de possibles, croire qu’on a un potentiel fait « d’aptitudes et de motivations, de capacités et de désirs » (Michel Lacroix).  Il faut donc non seulement en avoir conscience, mais encore le mettre en œuvre (“deviens ce que tu es”). Après des siècles durant lesquels l‘Église a accentué un discours négatif sur l’homme et sur le monde (l’homme vu avant tout comme pécheur), comment ne pas comprendre que les personnes aillent vers des outils qui leur proposent de développer leur potentiel (bioénergie, méditation transcendantale, télépathie, clairvoyance, etc.) ?
o  Le changement de paradigme. C’est l’émergence d’une nouvelle conscience, d’un monde nouveau, d’une nouvelle ère de l’humanité. La croyance non religieuse qu’il existe différents niveaux de réalité : un niveau rationnel et visible (la matière) que l’on mesure et observe avec des outils scientifiques, et un autre niveau, invisible, composé d’énergie, de flux, de forces, d’esprits que l’on contacte par d’autres canaux que nos cinq sens. Il s’agit désormais « d’un temps nouveau, d’un jour nouveau, d’une aube nouvelle, d’un homme nouveau, d’une femme nouvelle » (Ken Wilber), où l’unité se fait entre la personne, l’humanité, la nature et le cosmos. 
Primat de la conscience sur le matérialisme. Primat de l’émotion et de l’intuition sur la raison. Primat de la sagesse sur le savoir technique. Primat de l’âme sur les réalités extérieures. Nous passons d’un paradigme où la dimension matérielle et scientifique est la référence (rentabilité, indice d’écoute, QI, sondages, etc.) à un paradigme où les valeurs spirituelles et relationnelles sont premières. Nous passons également de la physique mécanique à la physique quantique. De la prédominance des valeurs viriles et patriarcales à la célébration des valeurs féminines, dans l’individu comme dans la société. Donc rejet des idoles de la modernité, de la dictature de la raison et de la technique.
o  L’humanité est un seul corps en évolution. Il existe un lien très profond entre la transformation intérieure et la transformation du monde, entre l’unité intérieure de chacun-e et l’unité du monde. Cf. Teilhard de Chardin.
o  Les créatifs culturels. De plus en plus de citoyens de par le monde incarnent un changement de valeurs et de comportements, préparent en silence et en profondeur la grande mutation qui advient, mettant en œuvre sans le savoir le nouveau paradigme du XXIème siècle. Ces citoyens créatifs culturels sont porteurs de nouvelles valeurs qui gagnent du terrain (par opposition aux valeurs matérialistes et consuméristes). Ces valeurs sont la simplicité, l'authenticité, la sobriété, l'ouverture, le respect, l'harmonie, la tolérance, l'interdépendance au travers de la reconnexion avec la nature dont ils reconnaissent le caractère sacré, la réintégration de l’écologie dans l’économie, la revalorisation de la dimension du sacré et de la spiritualité dans leur vie, la redécouverte de la méditation et de l’expérience spirituelle, le désir de se reconstruire par un travail intérieur (développement personnel), l'importance du développement de la créativité, l'attrait pour les cultures, l'engagement social solidaire au niveau local, l'utilisation de la médecine holistique et des méthodes naturelles de santé, l'alimentation bio, la psychologie transpersonnelle.
Patrice Van Ersel résume ainsi les traits saillants des créatifs culturels (dossier Nouvelles Clés) : « implication personnelle dans la société par des engagements solidaires, locaux et globaux, immédiats et à long terme ; vision féminine des relations et des choses ; intégration de l’écologie,de l’alimentation bio, des méthodes naturelles de santé ; importance du développement personnel, de l’introspection, des nouvelles spiritualités ».