Françoise, Du regard de l’autre au regard intérieur

ou comment les deuils m’ont ramenée à moi

                                                                                                                                          Rencontre du 31 octobre 2021
Je rencontre Françoise, connue au Forum104. Françoise est dans un immense passage de vie après le décès de son mari, après près de 40 années de vie commune.
Notre partage a été riche, et Françoise a accepté de partager la posture intérieure qu'elle est appelée à vivre dans cette période de passage. Ceci fait, pour moi, énormément écho aux enjeux que nous vivons actuellement. Je laisse la parole à Françoise :

"Je crois que j’ai toujours eu une sorte de certitude qu’il existait plus grand que moi, qui me dépasse d’une manière que je ne peux pas imaginer. Peut-être parce que depuis toute petite ma mère me lisait la Bible racontée aux enfants et que j’ai été bercée par ces belles histoires d’un Dieu tout puissant. Et puis, protestante dans un pays catholique, j’ai très vite appris à « défendre » ma foi, je n’étais pas comme tout le monde, il fallait que je puisse expliquer.
 
Et en même temps, cela m’a toujours semblé inaccessible, comme s’il me manquait un mode d’emploi, un chemin d’accès. En tant que cheftaine d’éclaireuses, je parlais avec passion de Dieu, j’avais tellement envie d’y croire, mais cela restait hypothétique. J’avais quelques certitudes, Dieu est Amour et il ne veut que notre bien. Mais j’aurais aimé avoir quelque chose de plus tangible, peut-être une rencontre (j’enviais tant ces récits de rencontre), au moins une « sensation ».
 
Puis j’ai rencontré Thierry, l’homme de ma vie. Il décrivait Dieu comme la lumière blanche qui rassemble toutes les couleurs en une seule couleur éclatante. Il semblait tant connaître de dont il parlait ! Lui il avait accès ! J’avais trouvé un médiateur, plus besoin de chercher, je pouvais me laisser porter. C’était une forme de confiance, mais conditionnée à une personne que j’admirais.
 
Bien plus tard, nos chemins ont quitté l’institution religieuse pour explorer d’autres spiritualités. Encore une fois, cela restait pour moi hypothétique. Il y avait des moments très puissants, quand nous jouions de la musique inspirée lors de cérémonies sacrées, mais je le classais plus dans l’émotionnel que le spirituel. Je n’ai jamais entendu de guide me parler, je n’ai jamais vu d’esprit dans un bouquet de fleurs, ni de grand sage dans mes songes et à nouveau la honte de ne pas « y arriver ».
 
Il y a quelques mois, mon compagnon est parti rejoindre ce monde avec lequel il était si connecté. Et me voilà, sans médiateur, sans tuteur, sans soutien spirituel ni affectif. Je suis convaincue qu’il est là quelque part. Je sais que la vie continue, sous une autre forme. Mais comment communiquer avec lui, comment savoir si ce n’est pas pure invention parce que je le veux si fort ?
 
Ma vie a complètement éclaté. Depuis quelques années, elle se fissurait de plus en plus. Je me souviens du jour des 18 ans de ma dernière : symboliquement plus personne n’avait besoin de moi, et moi j’étais qui ? J’étais qui si personne n’avait besoin de moi, je servais à quoi ? J’ai vécu un puissant deuil de qui je croyais être. J’ai commencé à entrapercevoir que peut-être je pouvais vivre autrement qu’à travers les autres. Les deuils se sont enchaînés, jusqu’à ce plus récent qui a fini de saper tous mes repères. Plus personne à qui faire plaisir, plus personne dont prendre soin, et moi dans tout ça, je suis qui ?
 
Et voilà que m’arrive un mail qui annonce une série de vidéos… encore. Pourquoi je lis celui là, pourquoi je m’y intéresse, pourquoi je décide de regarder les vidéos ? Ces vidéos me passionnent au point que je m’inscris dans la foulée à un stage, moi qui n’arrive plus à sortir de chez moi depuis le départ de Thierry. Et je découvre un nouveau paradigme, un nouveau monde !
 
Ma première « découverte » est que je suis unique, et donc non comparable, et donc non « validable » par qui que ce soit (exit la quête sans fin de reconnaissance). Je suis parfaite telle que je suis, je suis au bon moment, au bon endroit. Je l’avais déjà entendu, le « plan de Dieu », « Dieu ne fait pas de la camelote », « tu es ta meilleure amie », et pourtant j’ai tant voulu être une autre, tant voulu être « mieux », j’ai passé tant de temps à me flageller, à me nier, à me refuser.
 
Aujourd’hui j’apprends à accepter qui je suis, même si je ne sais pas qui je suis…. en tout cas ne pas tenter d’être une autre… tomber les masques, ne plus faire semblant pour faire plaisir… découvrir ce qui me fait plaisir à moi, ce que j’aime, ce dont j’ai envie… accepter ce qui vient, prendre les leçons que la vie m’apporte pour mieux me comprendre et moins tomber dans mes travers, parfois bien désagréables à vivre.
 
Il n’y a pas à chercher quoi que ce soit à l’extérieur, même pas un sens à ma vie, même pas une mission. Tout est à sa place, je peux juste me laisser traverser par la vie, la laisser prendre sens en moi. Il n’y a rien à atteindre, il n’y a nulle part où aller, il n’y a pas de but à avoir. L’essentiel est de vivre, et d’embrasser la vie de tout mon être, à chaque instant.
 
Cela adoucit ma peur de manquer, ma peur de l’avenir. Je cultive la confiance ! J’entends encore ma mère me citer ce verset biblique « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent point dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit ! » (Matt 6, 26). Tout était là depuis le début, pourquoi ne pouvais-je l’entendre ? Le temps n’était sans doute pas venu pour moi (« il y a un temps pour tout » dit aussi la Bible).
 
Aujourd’hui j’entends et j’apprends. J’apprends à vivre l’élan de l’instant, l’envie présente. Je me laisse vivre ! J’apprends à accueillir mes peurs qui croient me protéger, et qui aujourd’hui me freinent, et elles font partie de moi, je n’ai pas à les rejeter. J’apprends à ne pas chercher de but, à ne pas me mettre d’objectif. De toutes façons, dès que je « m’oblige », c’est la cata, je me sens mal, je tourne en rond, je cafarde.
 
C’est très difficile, parce que c’est comme remonter le courant de toutes mes croyances, de tout ce que j’ai appris : « tu iras jouer quand tu auras fini tes devoirs », « tu prendras le chemin que tu veux... quand tu auras eu ton bac », etc etc. C’est un exercice de vigilance et je trébuche, encore et encore. Et je me relève, de plus en plus rapidement.
 
Nous occidentaux, vivons depuis longtemps dans la dualité, la Terre/le Ciel, l’Homme/Dieu, le Bien/le Mal, le Juste/le Mauvais, etc etc. Et il s’agit de se sortir du mauvais pour atteindre le bon...
Ce nouveau paradigme me propose de voir la vie en trois plans, la trinité, bien sûr ! Ce n’est pas nouveau non plus. Un pied et un sol ne font pas la marche, il faut la rencontre entre les deux ! Il faut les trois éléments, et la totalité de chacun de ces éléments. De peur de tronquer le message, je vous renvoie au site de Jean Philippe Brébion (https://bioanalogie.com/). Et ces trois plans sont intimement liés et ne peuvent vivre l’un sans l’autre.
 
Dieu n’est pas à l’extérieur de moi, Dieu est en moi, Dieu est moi, je suis Dieu. Tout est là, tout est accompli... on me le disait déjà au catéchisme ! Je découvre, avec peur et hésitation, qu’il n’y a rien à chercher, rien à atteindre, rien à attendre, il n’y a pas de mode d’emploi, il n’y a pas de chemin. De même l’amour n’est ni à chercher, ni à recevoir, ni à donner, l’amour est, l’amour est moi, je suis l’amour.
 
Et depuis quelques jours, j’ai la sensation que Thierry est là, comme s’il était dans la pièce à côté, je sens sa présence. Dans ces moments là, il n’y a plus de manque, je suis remplie. Le manque revient parfois, déchirant, insupportable, parce que j’aimerais tant me blottir dans ses bras, mais je sais maintenant qu’une fois les émotions accueillies, une fois mon mental -qui refuse la réalité- calmé, je peux revenir à la paix et la confiance.
 
Je ne vois toujours pas les petits lutins dans la forêt, je ne parle toujours pas avec mes chers disparus, mais aujourd’hui cela n’a plus tant d’importance. Je ne sais pas à quoi je sers, je ne sais pas où je vais. Je VIS, et je vis le plus proche de ce que j’aimerais que soit le nouveau monde….".